MAILLY-LE-CAMP (Aube) - 18 juin au 10 août 1940
N otre arrivée dans ce camp se fait dans des conditions de désorganisation indescriptibles.
Nous attendons d'abord plusieurs heures sur place, à l'entrée du camp pendant que les Allemands nous fouillent. Mon couteau est confisqué mais je garde ma montre.
E nfin, répartis par petits groupes, nous entrons dans ce camp qui est composé de bâtiments en dur mais vidés de leur contenu. Je suis " affecté " au bâtiment 57. Aucun lit bien entendu. Il faudra coucher sur le ciment. Les écuries sont dévalisées de leur paille. Je réussis à m'en procurer un peu, juste de quoi me faire une mince litière. Nous sommes entassés les uns sur les autres mais à l'abri des intempéries, c'est déjà important. Notre " chambrée " s'est organisée chacun dans son petit coin et bientôt tout le monde s'endort d'un sommeil de plomb.
L e lendemain 19 juin, aucune nourriture pour calmer notre faim. Les Allemands, dépassés par leur avance éclair en France et par le nombre impressionnant de prisonniers, ne peuvent faire face à cette situation nouvelle et imprévue. Il faut donc se débrouiller pour manger. Les orties du camp disparaissent très vite. Solidairement, nous nous mettons par petits groupes en " popotes " et, dans des récipients de fortune, une bonne soupe aux orties constituera notre premier repas chaud depuis longtemps.
E nfin, le lendemain 20 juin, quatre cuillères de riz nous sont distribuées, riz qui est rapidement cuit et mangé. Le soir, nous touchons une boule de pain noir pour huit et un morceau de fromage. Les jours suivants, la boule est partagée à six, puis à cinq et enfin à quatre. Mais c'est une petite boule de pain et la ration n'est pas énorme. Mes forces commencent à décliner. De nouvelles colonnes de prisonniers arrivent. Le camp est une véritable marée humaine où nous sommes les uns contre les autres.
L e 22 juin, l'annonce de l'Armistice nous réjouit ; la certitude d'être bientôt libérés ne sera qu'un leurre, hélas ! Les jours passent dans des conditions de plus en plus précaires. La vermine commence à s'installer et de nombreux cas de dysenterie se présentent. Je n'y échappe pas. La faim nous tenaille de plus en plus, nous subsistons avec les dernières orties du camp mélangées à des pelures de pommes de terre que les sentinelles veulent bien nous donner. Pas de cigarettes ; il faut se jeter sur les mégots que nous jettent nos gardiens. La vermine nous ronge de plus en plus et chacun s'emploie à détruire les poux qui pullulent dans la doublure de nos vestes et pantalons. Dans ces conditions de vie et d'hygiène, de nombreux camarades ont perdu la vie dans ce camp qui est devenu maudit.
E nfin, après des journées interminables, le 10 août, à 16h, notre groupe est rassemblé pour le départ. Nous sortons du camp et regagnons à pied la gare de MAILLY, encadrés par de nombreuses sentinelles. Nous sommes entassés à soixante dans des wagons à bestiaux bien verrouillés. La nuit du 10 au 11 août 1940 se passe dans des conditions lamentables dans notre wagon qui ne sera jamais déverrouillé pendant le voyage. Il faut faire nos besoins naturels dans les coins du wagon où règne bientôt une odeur insupportable. Enfin, dans la matinée du 11 août, le train s'arrête et les hurlements de nos gardiens se font entendre. A notre grand soulagement, les portes s'ouvrent.
O ù sommes-nous ? En France ? Quelque part en Allemagne ? Nous sommes en France, à DOULLENS dans la Somme et cela nous rassure.